Autocratie et démocratie : Problématique d’une crise de la confiance née de l’intrusion de l’état de nature dans la nature de l’Etat.
PLAN :
-
- Introduction
- L’exaltation de l’autocratie
- La légitimation de la démocratie
- L’Etat et le peuple : comment lever la suspicion ?
- Conclusion
- Introduction
INTRODUCTION
L’autocratie, c’est la concentration des pouvoirs politiques entre les mains d’un seul. La démocratie, c’est la séparation des pouvoirs fondée sur une totale implication du peuple dans le choix des dirigeants. Selon la nature de l’Etat (autocratique ou démocratique), le peuple au nom de qui on parle souvent, peut subir la politique plutôt que d’en être l’acteur principal. Une démocratie en apparence pouvant cacher une autocratie sévère !
L’exaltation de l’autocratie.
Dans un régime autocratique, toutes les ressources humaines et matérielles du pays sont gérées par la volonté d’un seul : le Prince. Il règne sans partage et dicte sa loi. Il fait la pluie et le beau temps. Toute contestation, toute opposition ou toute proposition contraire à la marche et à la démarche du chef est perçue comme une subversion et sanctionnée comme telle.
L’autocratie se confond nécessairement à l’absolutisme. Pour André Lalande, l’absolutisme est « opposé à tout libéralisme » (André Lalande, vocabulaire Technique et critique de la philosophie, P.U.F 1983, .7). Le pouvoir autocratique, donc absolu, est exalté par les penseurs comme Thomas Hobbes et Nicolas Machiavel.
Hobbes soutient que pour garantir la stabilité et la sécurité du pays, l’Etat se doit d’être fort. L’Etat fort, il le nomme « le Léviathan ». Il s’agit d’une force impitoyable qui terrorise la population et étouffe toute velléité de contestation. Chez Hobbes, le pacte social n’est qu’un pacte de sujétion, de soumission des individus à l’autorité de l’Etat. Selon lui, la conservation par chacun de sa liberté naturelle constitue une menace sérieuse pour la survie de la collectivité. Les volontés particulières des uns et des autres doivent être ramenées « à une seule volonté », de sorte que «la multitude, ainsi unie en une personne une, est appelée un Etat, en latin CIVITAS. Telle est la génération de ce grand LEVIATHAN, ou plutôt (pour parler avec plus de déférence) de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le dieu immortel, notre paix et notre défense » (Thomas Hobbes, Léviathan, livre II, chap. 17). En clair, avec Hobbes, le pouvoir politique est entre les mains d’un seul (« un homme » ou « une assemblée d’hommes »), qui parle et décide pour tous les membres de la communauté, parce que « leurs volontés est sa volonté, et leurs jugements son jugement » (Hobbes, Opus. Cit. ). Le Léviathan dont parle Hobbes se doit d’être aussi fort et puissant que le monstre marin biblique auquel il s’identifie (Cf. : Job 40 et 41 ; Esaïe 27 ; Psaume 74 :14 ; Psaume 104 :26). Du Léviathan biblique, Job nous rappelle que « tout espoir de le vaincre est trompeur. A son seul aspect, n’est-on pas terrassé ? » (Job, 41 :1). C’est ce climat de peur, entretenu par le despot, le monarque ou le Tyran qui fabrique et conserve durablement l’assujettissement total du peuple. Pour Hobbes, c’est l’obéissance renouvelée du peuple au prince qui permet à l’Etat de réaliser de grandes œuvres, et de développer la nation. La désobéissance est génératrice de désordre et de destruction. L’ordre et la soumission au « dieu mortel » doivent régner.
Machiavel, quelques années avant Hobbes, reconnaissait déjà que la méchanceté est l’un des attributs du prince qui tient à conserver le pouvoir le plus longtemps possible. L’autre attribut, qui complète le précédent dans une harmonie diabolique, c’est la ruse. C’est le binôme méchanceté / ruse qui convient au prince pour se faire respecter : « On estime un prince quand il est vrai ami et vrai ennemi », écrit Machiavel (Le Prince, Flammarion, 1980, p.180.). L’autorité du prince tient au rayonnement de sa puissance : « les Etats qui se gouvernent par un prince et des serviteurs voient leur prince jouir de plus d’autorité : car dans tout le pays, il n’est personne qui se reconnaisse un maître autre que lui, et si l’on obéit à quelque autre, c’est qu’il est ministre ou fonctionnaire du prince, et on n’a pas pour lui un attachement particulier » (Machiavel, Opus. cit. P.101)
Dans l’autocratie ou dans l’absolutisme, la nature de l’Etat est fondamentalement marquée par l’état de nature fait de mesquineries, de cafouillage, de pièges, d’injustice, de méchanceté. On est ici, au propre comme au figuré, comme dans une véritable jungle où l’Etat fort écrase le peuple faible. La morale, le droit, la justice sont ceux du prince et de ses courtisans. Toutes les bestialités inhérentes à l’état de nature sont mises à contribution pour sacraliser le prince : arrestations arbitraires, emprisonnements, tortures, lavage de cerveau, assassinats… Le seul chant qui vaille la peine d’être chanté, c’est celui qui exalte la beauté inaliénable et la puissance inébranlable du prince. La seule prière qui vaille la peine d’être récitée, c’est celle qui célèbre la bonté éternelle et la sagesse inégalable du prince. Tout est hyperbolisé pour plaire au garant de l’Etat, et tirer de lui quelques prébendes et quelque considération. Ceux dont la conscience se refuse de rentrer dans cette vaste comédie sont contraints au silence ou à l’exil. Ils choisissent la torture en choisissant de briser le silence.
Ces dérapages inhumains sont sensés être corrigés par la démocratie.
La légitimation de la démocratie.
Dans un régime démocratique, la séparation réelle des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est un principe cardinal. Pour que le peuple ne soit l’otage ni d’un individu, ni d’une confrérie, il est indispensable que les consultations populaires lui donnent l’occasion de choisir ses dirigeants. Dans une démocratie, le pacte qui lie les gouvernants aux gouvernés est fondamentalement temporel, et les premiers, au terme d’un mandat, peuvent être reconduits ou éconduits, loyalement. Pour André Lalande, la démocratie est un « Etat politique dans lequel la souveraineté appartient à la totalité des citoyens, sans distinction de naissance, de fortune ou de capacité » (Vocabulaire Technique et critique de la philosophie, PUF, 1983, P.215). Montesquieu et Jean-Jacques Rousseau légitiment la séparation des pouvoirs, pierre angulaire de toute vraie démocratie.
Montesquieu commence par la distinction des trois formes de gouvernement : despotique, monarchique et républicain. Il condamne le despotisme, fondé sur la crainte : « Il faut donc que la crainte y abatte tous les courages et y éteigne jusqu’au moindre sentiment d’ambition » (Esprit des lois, lire III, chap. 9). Il reconnaît que la monarchie est bonne pour les Etats de taille moyenne, à la seule condition que les lois ou les pouvoirs intermédiaires (religieux par exemple) limitent l’autorité du monarque. C’est dans la république que se pratique la démocratie : « Lorsque, dans une république, le peuple en corps a la souveraine puissance, c’est une démocratie. Lorsque la souveraine puissance est entre les mains d’une partie du peuple, cela s’appelle une aristocratie » (Opus. cit. , II, 2).
En démocratie, pense Montesquieu, la séparation des pouvoirs doit être inscrite dans la constitution, afin d’assurer la liberté politique du citoyen. Seulement, il précise qu’une constitution peut, de droit, garantir cette liberté tandis que le citoyen, de fait, n’est pas libre. D’où la nécessaire adéquation entre le droit et le fait, le principe et la pratique : « Il pourra arriver que la constitution soit libre et que le citoyen ne le sera point. Le citoyen pourra être libre et la constitution ne pas l’être. Dans ces cas la constitution sera libre de droit et non de fait ; le citoyen libre de fait et non pas de droit » (Montesquieu, Opus.cit., livre XII, chap.2). Quand la constitution est libre de droit et non de fait, il y a inévitablement intrusion de l’état de nature dans la nature de l’Etat. La démocratie ne l’est plus qu’en apparence. Des pièges visibles et invisibles, manifestent et subtils jonchent désormais le chemin du citoyen qui vit, malgré les lois démocratiques, sous une véritable dictature.
C’est pour limiter la possibilité toujours ouverte d’un divorce entre la constitution et le citoyen que Rousseau précise la nature du contrat social. Il s’agit pour lui de « trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse autant qu’à lui-même, et reste aussi libre qu’auparavant » (Rousseau, Du Contrat social, livre I, chapitre 6). La positivité du contrat social vient de ce qu’il permet à l’individu de perdre sa liberté naturelle au profit de la liberté conventionnelle. Sans cette « aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toutes la communauté », il est impossible de vivre dans un Etat de droit (Cf. : Rousseau, Opus cit, XII, 1).
La démocratie doit garantir un Etat de droit, dans le principe et dans la pratique. Malheureusement, la démocratie peut connaître des entorses et des disfonctionnements si le jeu démocratique est vicié par le fait des bonnes lois appliquées pas des gouvernants mauvais, pernicieux, ou alors des mauvaises lois appliquées par des gouvernants bons et malins . Dans les deux cas, un soupçon de dictature pèse sur la démocratie.
L’Etat et le peuple : Comment lever la suspicion ?
Autocratique ou démocratique, le peuple peut être otage du régime qui gouverne. Si cet embastillement du peuple se comprend dans une autocratie, il n’a pas sa raison d’être dans une démocratie. Hegel soutient que « l’Etat est l’effectivité de la liberté concrète » (Principes de la philosophie du droit, 3e partie, 3e section, § 260). Cela est d’autant plus vrai dans un Etat démocratique. Si la liberté n’est orientée que dans le sens du maintien au pouvoir de l’exécutif et des pouvoirs instrumentalisés qui l’accompagnent, alors on retombe pleinement dans le totalitarisme. Et pour Hannah Arendt, « partout où le totalitarisme détient le contrôle absolu, il remplace la propagande par l’endoctrinement et utilise la violence moins pour effrayer les gens (ce qu’il fait seulement au début, lorsque subsiste une opposition politique) que pour réaliser constamment ses doctrines idéologiques et ses mensonges pratiques » (Les origines du totalitarisme, chap. XI).
Les mensonges pratiques ne peuvent engendrer que la mauvaise gouvernance. Il faut les combattre, démocratiquement. En démocratie, les citoyens doivent jouir de tous leurs droits, y compris le droit à la désobéissance civique. Pour Bernard-Henri Lévy, il est normal que le peuple maltraité, appauvri et sous-employé manifeste pour se faire entendre. Il est normal que l’indignation soit portée sur la place publique. C’est l’une des voies de sortie de la suspicion qui pourrit le climat social et éloigne les gouvernés des gouvernants. Les premiers soupçonnent les seconds de vouloir profiter seuls des ressources de la nation. Les seconds soupçonnent les premiers de vouloir leurs postes politiques. Pour Bernard – Henri Lévy, l’irruption sur la place publique de ceux qui hier étaient « sans noms, sans visages, presque des âmes mortes, des fantômes » est « un signe de santé du corps social. C’est un sursaut de dignité, de maturité » (« Le Point », numéro 1322 du 17 Janvier 1998, P.106). C’est la réappropriation par le peuple de la démocratie, cette démocratie de plus en plus affaiblie et vidée de son contenu par la mondialisation, telle que cette dernière se dessine sous nos yeux. En consacrant l’enrichissement sans fin, la mondialisation déshumanise l’homme : le matériel est au centre et l’humain à la périphérie. Or c’est la quête de l’humain qui valorise la démocratie. Dans une démocratie, une minorité ne peut pas jouir de la lumière du soleil pendant que la majorité se meurt dans l’abjecte pauvreté.
Pour sortir du mode de gestion politique encouragé par une « mondialisation sans alternative », qui fait l’apologie de la bourgeoisie, KA MANA propose, sur les traces de Bernard-Henri Lévy, une altermondialisation, « un nouvel humanisme planétaire » , perçu comme « un nouveau printemps politique des peuples, qui ne serait pas dirigé simplement contre quelques dictateurs à l’intérieur des nations, ainsi qu’on l’a vu récemment en Tunisie ou en Egypte, mais contre la dictature du marché, contre l’autoritarisme du profit, contre la tyrannie de l’Argent -Roi et de tout le système mondial qu’ils animent et irriguent de leur souffle destructeur » (KA MANA, « La pensée politique de Gramsci aujourd’hui », in ECOVOX MAGAZINE, num.45, Janvier-Juin 2011, p.35)
Seul ce nouvel humanisme planétaire peut durablement fonder et légitimer la démocratisation véritable du monde. Le culte de l’Argent-Roi installe au pouvoir une élite ploutocratique qui thésaurise sans frein, comme si elle devait sa puissance à la masse des biens accumulés. L’argent est éternel. L’homme est mortel. L’argent doit être au service de l’homme, et non le contraire.
CONCLUSION
Rousseau affirme fort judicieusement que « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir » (Du Contrat social, livre I, chap.3). Cela est vrai, aussi bien dans une autocratie que dans une démocratie. Partout où l’état de nature s’invite dans la nature de l’Etat, les règles du jeu politique ne peuvent qu’aliéner le peuple. Pour sortir la démocratie de la jungle (dictature, insécurité, violence, paupérisation du grand nombre, musellement de l’opposition), il est impératif que le peuple se réapproprie la gestion des affaires publiques. Les travers de l’autocratie peuvent se retrouver de façon plus savante, plus subtile mais plus vicieuse dans une démocratie. Un gouvernement démocratique de droit, mais de fait dictatorial, couve immanquablement une inévitable cassure du pacte social.
Douala, Octobre 2011.